Parole de dirigeant à l’international
Les clés d’une réussite business en Russie
Albert Grigoryan, Délégué Général d’Engie en Russie
« Une fois que les Russes ont confiance en notre sincérité et détermination, tout va très vite ! »
Albert Grigoryan, né en Arménie à l’époque de l’Union soviétique, puis ayant fait ses études à Paris, est arrivé 15 ans plus tard en Russie où il dirige depuis 2012 le bureau de représentation du groupe Engie. Le partenariat stratégique qui unit Engie et Gazprom remonte à 1975 et représente aujourd’hui environ 15% des échanges franco-russes.
Quelques faits
2003-2005 : Gaz de France – Chargé des projets de développement en Russie et Ukraine – Gestionnaire par intérim des contrats gaziers à long terme avec la Russie (Gazprom) – basé à Paris
2005-2012 : Gaz de France (GDF-Suez) – Négociateur et gestionnaire des contrats gaziers à long terme avec la Russie (Gazprom) – basé à Paris
Depuis 2012 : Délégué général d’Engie en Russie et Ukraine, Responsable des bureaux de représentation – basé à Moscou
Depuis 2018 : Conseiller du commerce extérieur de la France
Depuis 2019 : Administrateur de la CCI France Russie
Mail : albert.grigorian@engie.com
Entretien mené par Antoine Leygonie-Fialko
Dialogue ouvert puis séance d’Executive Coaching
selon la méthode de CO-CREATiVE Communication®
J’ai rencontré Albert Grigoryan, il y a 3 ans. Dès notre premier échange, j’ai été impressionné par la façon dont l’Histoire a façonné sa vie. Il nous raconte aujourd’hui comment son destin mouvementé est devenu son plus précieux capital pour travailler en Russie…
« Travailler avec les partenaires russes ne pose aucun problème »
Albert, quelles sont les activités d’Engie en Russie ?
Engie, anciennement Gaz de France, est un fleuron de l’industrie française, un groupe mondial spécialisé dans l’énergie (gaz et électricité) et les services à l’énergie, dont l’ambition est aujourd’hui de devenir un leader de la transition énergétique.
Dès 1992, le Groupe a ouvert un bureau de représentation à Moscou. Aujourd’hui, Engie regroupe environ 70 collaborateurs en Russie (filiales comprises). Le bureau que je dirige est une sorte de petite ambassade, avec son « consulat » (le service administratif), son service économique chargé de la veille du marché et de la prospection d’affaires, et une « chancellerie » qui défend les intérêts du groupe auprès de toutes ses contreparties en Russie. Mon poste est extrêmement sensible car Engie est un acteur majeur dans les relations franco-russes.
Engie achète de grandes quantités de gaz auprès de Gazprom depuis 1975, mais aussi du combustible nucléaire auprès de Rosatom depuis 1979, utilisé dans nos centrales en Belgique. Nous avons 9% dans le projet Nord Stream I et nous sommes partenaires financiers du projet Nord Stream II, en cours de réalisation.
Engie possède également plusieurs filiales en Russie, notamment Engie Cofely Russie qui installe des systèmes de chauffage, de ventilation, d’air conditionné et de lutte anti-incendie pour des usines, des centres commerciaux, des hôtels et autres gros projets immobiliers ; Engie Refrigeration, spécialisé dans les installations de réfrigération industrielle économes en énergie, qui a équipé le Kremlin, l’aéroport Domodedovo ou encore la nouvelle tour Lakhta de Gazprom à Saint-Pétersbourg ; et enfin Engie Tractebel, un bureau d’études qui travaille principalement pour les grands énergéticiens russes et le ministère de l’Énergie, et qui aide à la rédaction de la législation russe.
Chez Engie, quels sont les prochains défis en Russie ?
Je rêve d’aller au-delà de notre présence actuelle et d’étendre la gamme d’activités et de services qu’Engie est en mesure de proposer en Russie. Je perçois un grand potentiel dans les services de type smart city : Moscou est devenue l’une des mégalopoles les plus modernes et connectées au monde, et les grandes villes de province vont suivre. Il y a aussi de grandes perspectives dans les services d’efficacité énergétique et de génération décentralisée d’électricité et de chaleur pour l’industrie russe, ainsi que dans les énergies renouvelables, notamment l’éolien et même le solaire : contrairement à ce que l’on pourrait penser, certaines régions de Russie présentent un potentiel très intéressant ! Et c’est un domaine où nous sommes leaders en France.
Dans ma volonté de développer la présence du Groupe en Russie, les grands obstacles que je rencontre ont trait aux fréquents changements politiques, géopolitiques, structurels et conjoncturels… Il y a des obstacles objectifs et d’autres plus subjectifs : certains de nos collègues à Paris continuent de regarder la Russie avec beaucoup d’appréhension. Mon travail consiste donc aussi à convaincre la direction à Paris de s’ouvrir davantage vers la Russie. Par expérience, je pense que même dans les situations les plus difficiles, on trouve toujours des solutions. Bien entendu, je parle de mes propres observations, et ce que je dis n’engage que moi.
Albert, vous me donnez l’impression que les obstacles principaux à votre développement sont internes. Pouvez-vous m’en dire plus ?
Sincèrement, je pense que travailler avec les partenaires russes ne pose aucun problème. À partir du moment où vous êtes prêt à écouter votre interlocuteur, à comprendre ses besoins et à discerner ses problèmes, il est alors possible de nouer le dialogue.
Je vais vous donner un exemple. Quand j’étais négociateur sur les contrats gaziers à long terme, j’avais trouvé une astuce pour affiner au mieux nos positions : je faisais volontiers le travail de sparring partner. Mes collègues français testaient leurs arguments sur moi, parce qu’étant originaire d’URSS je connaissais la Russie, les Russes, leur façon de penser, le fonctionnement interne de Gazprom… Je posais toutes sortes de questions afin d’anticiper les potentiels points de blocage côté russe. Souvent, il arrivait que les camarades de Gazprom me téléphonent pour tester leur propre argumentaire ! Mon objectif était alors de bien les comprendre, d’être constructif et de les amener à nous comprendre : ainsi, il n’y avait aucun malentendu entre les parties et personne ne perdait son temps lors de la réunion de négociation. Les stéréotypes et les malentendus nous empêchent d’avancer et de progresser dans les affaires, et il faut donc consacrer du temps et des efforts pour les surmonter.
Aujourd’hui, je fais le travail inverse. Je regarde où et pourquoi cela bloque chez les Français, afin de corriger le tir. Depuis mon arrivée à Moscou, j’ai réussi à deux reprises à faire adopter par la direction des plans de développement plus ambitieux en Russie, mais à chaque fois que la décision a été prise, nous nous sommes heurtés à des événements inattendus : le conflit russo-ukrainien puis un changement de stratégie mondiale du groupe. Je reste malgré tout optimiste et je continue à me battre avec nos équipes pour trouver des opportunités.
© Photos : Hugues Laurent
« Je suis né en ex-Union soviétique… »
Comment êtes-vous devenu délégué général de Engie ?
Je suis né en ex-Union soviétique. J’ai eu la chance de naître et grandir dans un pays immense. J’adorais les sciences humaines, l’histoire, la philosophie, la psychologie et tous les matins, en regardant la carte de l’URSS, je me disais que j’appartenais à quelque chose de grand, de puissant, de magique.
Quand j’ai eu vingt ans, j’ai assisté à la chute de l’Union soviétique. J’ai vécu des moments extrêmement difficiles comme beaucoup d’autres Arméniens. Entre le tremblement de terre, le blocus, la guerre, la vie sans électricité et sans chauffage, la situation était chaotique. Ce vécu m’accompagnera toute ma vie et il m’a renforcé psychologiquement. Rien ne peut plus m’étonner. Nous sommes un peuple rescapé et j’ai développé un instinct de survie, chose essentielle pour nous autres Arméniens.
Dans les années 1990, les portes de l’Europe se sont ouvertes et malgré les difficultés endurées par le pays et notre génération, tout devenait possible pour ceux et celles qui avaient la volonté de travailler et de s’en sortir. Une fois diplômé de la Gladzor University à Erevan, j’ai eu l’opportunité en 1997 de partir compléter mes études à Paris. Une nouvelle vie a commencé. Vous imaginez ? Paris ! C’était la capitale du monde pour le jeune Arménien que j’étais, nourri à la littérature et au cinéma français. À la fin de mes études, j’ai rédigé mon mémoire sur les enjeux énergétiques de la mer Caspienne, ce qui m’a valu d’être pris en stage chez Gaz de France. Cette expérience a été concluante, et j’ai été recruté. Quinze ans plus tard, la direction m’a envoyé en Russie comme expatrié avec un passeport français, pour représenter l’une des plus grandes entreprises mondiales, renommée entretemps GDF-Suez puis Engie.
Pendant toutes ces années à Paris puis à Moscou, j’ai dû beaucoup travailler pour gagner la confiance tant des Français que des Russes. Je me suis trouvé dans des situations parfois inconfortables sur le plan relationnel, car les gens ne savaient pas si j’étais un Arménien de Russie ou un Français d’origine arménienne : le fait que je maîtrise aussi bien le français que le russe était déroutant pour beaucoup. Ces circonstances m’ont permis d’observer, de faire mes analyses et de me renforcer psychologiquement. Aujourd’hui je n’ai aucun problème, ni avec les Russes, ni avec les Français. Grandir en Union soviétique m’a aidé à être décomplexé, aussi bien à Paris qu’à Moscou et au-delà.
© Photos : Hugues Laurent
« En Russie, les relations doivent être directes et sincères »
Albert, quels conseils vous donneriez à un occidental qui voudrait réussir en Russie ?
Quand on arrive en Russie, la première chose à faire est de prendre le temps de DÉCOUVRIR le PAYS, de LIRE des ouvrages pour comprendre la mentalité et APPRENDRE le RUSSE. J’ai fait exactement la même chose quand je suis arrivé en France. Pour s’intégrer en Russie il faut apprendre à PERDRE du TEMPS, c’est-à-dire, voyager à travers le pays, passer de vrais moments avec les gens, parler de tout et n’importe quoi, à table, autour d’un verre, dans le taxi, à la datcha, au banya. Cela permet de découvrir son interlocuteur et de s’intégrer.
La SINCÉRITÉ doit être de mise. Les relations doivent être honnêtes. Il faut donner une chance à son interlocuteur de mettre sur la table ce qu’il a dans son cœur, et ne pas lui promettre des choses que vous ne pourrez pas tenir. Les Français ont tendance à tout politiser. Je me souviens que les équipes étaient paniquées quand Gazprom téléphonait, on aurait dit que l’appel venait du Kremlin ! Avec le recul, cela me fait rire ! J’en parle parce qu’il y a déjà prescription et parce qu’heureusement, les choses ont changé depuis ! Avec les Russes, il suffit d’ÊTRE SIMPLE et DIRECT, en évitant de se disputer, tout en restant très poli et sans être trop raffiné. Gardons à l’esprit qu’aux Russes comme aux Arméniens et autres ex-Soviétiques, on a enseigné que le chemin le plus court et le plus direct du point A jusqu’au point B, c’est la ligne droite ! À l’inverse, en France, on a tendance à trop compliquer des choses qui sont parfois si simples…
En début de réunion, si votre interlocuteur n’est pas prêt ou s’il a un souci, il faut commencer par l’ÉCOUTER et essayer de le COMPRENDRE. S’il voit que vous êtes sincère, et même si c’est une réunion formelle, il sera lui-même prêt à décaler ses rendez-vous suivants pour vous écouter jusqu’au bout. Il doit d’abord comprendre que vous vous intéressez vraiment à lui. L’honnêteté permet de créer des relations formidables et en manquer vous fera passer pour un idiot.
Parallèlement, il faut aussi respecter l’ÉTIQUETTE. On ne présente pas un vice-ministre à un chef de département. Il faut être capable de METTRE en RELATION les BONNES PERSONNES au BON NIVEAU.
Enfin, pour réussir un business en Russie, il faut pouvoir ANTICIPER les événements en ayant les yeux et les oreilles grands ouverts pour bien comprendre la situation. Noé n’a pas construit son arche après les inondations, il l’a bâtie avant.
En un mot ?
La France et la Russie ont beaucoup de choses en commun, à commencer par les couleurs de leur drapeau. Au niveau du business, ils sont différents : les sens ne sont pas mobilisés dans le même ordre. Les Français écoutent, sentent, mettent le nez dans les affaires puis travaillent et critiquent. Les Russes écoutent et parlent longuement puis une fois que tout est clair, ils mettent le nez dans les affaires et travaillent. Les Russes peuvent nous écouter longtemps pour comprendre jusqu’au bout. Parfois, ils peuvent même nous tendre des pièges pour savoir si nous sommes vraiment sincères et déterminés.
Une fois que les Russes ont confiance en notre sincérité et détermination, tout va très vite !
© Photos : Hugues Laurent
Regard sur une séance d’Executive Coaching selon la méthode CO-CREATiVE Communication®
Albert, un mot sur notre séance d‘Executive Coaching ?
Selon moi, le coach, c’est celui qui a les qualités d’un deuxième père, qui voit tout de suite vos talents, qui vous accompagne et vous permet de vous révéler à vous-même. En ce sens, vous êtes un vrai coach car vous avez réussi à créer immédiatement une atmosphère de confiance qui m’a permis de vous parler ouvertement. Vos questions, à la fois directes et respectueuses, m’ont aidé à réfléchir et à prendre conscience de certains aspects que je n’osais pas me dire à moi-même. Antoine, je vous remercie pour ce moment passé ensemble… !
Propos recueillis par Antoine Leygonie-Fialko.
International Executive Coach & Adviser « Become an inspiring leader » Antoine Leygonie-Fialko est International Executive Coach & Adviser, spécialisé dans l’accompagnement des dirigeants à l'international vers « une pensée Claire et Calme, Bienveillante et Puissante ». Polytechnicien, Ingénieur des Ponts, Architecte et Docteur en Philosophie, puis diplômé INSEAD, il est fondateur de la Co-CREATiVE Communication® et de la société CADRAN qui opère mondialement. Auparavant, il a dirigé 7 sociétés, de la start-up au corporate, en France et à l’international (Europe, Eurasie, Afrique), dans diverses industries (bâtiment, internet, RH…). Aujourd’hui, fort de plus de 3 000 heures d’Executive Coaching sur 5 continents et 40 pays, détenteur du plus haut niveau de certification (ICF MCC « Master Certified Coach ») et plusieurs fois nominé « Top 5 International Executive Coach », il intervient auprès de tout dirigeant qui vise un leadership d'excellence et souhaite développer toute la puissance qui sommeille en lui et ses équipes.ANTOINE LEYGONIE-FIALKO