Paroles de dirigeant à l’international
Les clés d’une réussite business à l’international
Sylvain Chauvet, General Manager, Sofitel Mexico City Reforma
« L’expatriation c’est faire le lien entre la culture française et la culture locale »
La grande carrière dans l’hôtellerie de Sylvain Chauvet l’a mené dans de nombreux pays, la Tanzanie, la Gambie, la Guinée équatoriale, Cuba et maintenant le Mexique. Il nous raconte ses différentes expériences, pleines de surprises…
Quelques faits
Entretien mené par Antoine Leygonie-Fialko
Dialogue ouvert puis séance d’Executive Coaching
selon la méthode de CO-CREATiVE Communication®
J’ai été impressionné par le parcours de Sylvain. Parti sans aucune expérience de l’hôtellerie, il a réussi une carrière internationale emplie d’aventures…
« Tanzanie : ne pas précipiter les prises de décision et leur mise en œuvre »
Sylvain, que retenez-vous de votre première expatriation, en Tanzanie ?
J’ai commencé dans une compagnie de safari, en Tanzanie, puis je suis ensuite parti sur l’île de Zanzibar pour commencer ma carrière hôtelière. Comme ce n’était pas ma formation de base, j’ai passé cinq ans à découvrir les spécificités de l’hôtellerie. Mon hôtel était très isolé, ce qui est le paradis quand vous allez en vacances, mais quand vous y travaillez, c’est plus compliqué. J’ai dû gérer l’hôtel en quasi-autarcie parce que j’avais quatre heures de route pour faire un aller/retour en ville et que les employés préféraient souvent dormir sur place dans un « staff quarter ». Dans ces conditions, j’ai travaillé intensément pour commencer à comprendre l’hôtellerie et les rouages de management tant au « front of the house » — les employés qui font face au client — qu’au « back of the house » où l’on trouve les achats, la laverie, etc.
À l’époque, l’hôtellerie était un métier avec beaucoup de « cash », puisque le « all inclusive » est arrivé un plus tard. Tout ce qui était bar ou restaurant, ainsi qu’une bonne partie des autres paiements, se faisaient en espèce, et ce « cash » n’arrivait pas toujours dans la caisse officielle. Jeune manager voulant bien faire les choses, j’ai commencé par agir de manière stricte et rapide, ce qui n’a pas été bien perçu par les bénéficiaires du système. La situation a été très tendue pendant une quinzaine de jours. Heureusement, j’étais soutenu par la direction. Au final, cette expérience a été un grand apprentissage pour moi. Quand j’étais jeune, j’avais cette impulsivité de vouloir agir très rapidement. Or, une entreprise n’existe pas pour seulement un ou cinq ans, mais elle s’inscrit dans un temps plus long. En conséquence, chaque changement doit se faire en profondeur et en prenant le temps. Et si j’ai aujourd’hui un conseil à donner aux jeunes managers c’est de ne pas précipiter les prises de décision et surtout leur mise en place. Tout changement doit être mené de manière progressive, doucement, avec pédagogie, par étape et par secteur, pour éviter de brusquer.
Pendant ces cinq années d’expatriation à Zanzibar, je me suis adapté à la culture du pays, mais s’adapter à la culture du pays ne veut pas dire se fondre dans la culture. J’ai vu des directeurs d’hôtel ou des expatriés s’habiller en vêtement traditionnels africains, dans l’espoir de mieux s’intégrer. À mon sens, c’est une erreur. Pour moi l’intégration, ce n’est pas adopter le code vestimentaire du pays, c’est respecter la culture et le pays, tout en apportant ce pour quoi on a été recruté. Et ça, il ne faut pas le changer, parce que justement c’est notre force. En embauchant un Français, le propriétaire ne voulait pas un Zanzibarite de plus. Il ne va pas payer un expatrié plus cher qu’un Zanzibarite pour avoir la même expertise. Ce qui est important pour un expatrié, c’est de s’adapter à la culture, comprendre la culture, s’adapter effectivement aux employés et à leur vie, mais sans changer son comportement et son expertise.
Par exemple, la spécificité de Zanzibar est sa multi culturalité même à l’intérieur de l’île. Zanzibar fait partie de la Tanzanie, avec un gouvernement autonome qui partage certaines lois mais pas toutes. C’est aussi une île qui est principalement musulmane avec une influence africaine. En conséquence, à Zanzibar, comme souvent en Afrique, cohabitent de nombreuses ethnies, avec des différences culturelles importantes, qui peuvent générer des conflits, au sein même d’une entreprise. Le manager expatrié doit donc comprendre et s’adapter aux différentes cultures de son pays d’accueil pour gérer de manière optimale ses équipes.
« Gambie : L’importance de laisser de l’autonomie à ses employés »
Vous poursuivez ensuite votre carrière hôtelière en Gambie…
À Zanzibar, mon hôtel appartenait à un propriétaire privé. En Gambie, j’entre dans le groupe hôtelier Corinthia. C’est très différent. Là, j’ai appris une méthode de travail fondée sur les KPIs et les données hôtelières internationales, comme le prix moyen, le taux d’occupation, le RevPar… J’ai aussi appris à comparer mes résultats, notamment financiers, à ceux de mes concurrents.
Par ailleurs, c’est en Gambie que j’ai (re)découvert l’importance de l’avis client. Un nouveau concept mondial commençait à se développer :
« Tripadvisor » et les commentaires des clients en ligne.
Depuis, j’assure un suivi très régulier et attentif des avis clients. Pour moi, la satisfaction client, c’est la base de l’hôtellerie. Dans la théorie satisfaire un client est assez simple, il suffit que le ressentiment de son séjour soit supérieur au prix qu’il a payé.
Il faut aller au-delà d’un service normal, et proposer de l’inattendu, surprendre le client sur des points bien spécifiques. C’est alors que le client aura envie de donner un commentaire positif.
Concernant le management interculturel, je me rappelle mon premier 31 décembre. L’hôtel était plein. Nous avions demandé aux clients de quitter les alentours de la piscine pour y préparer le repas et la grande fête. L’équipe devait commencer l’installation à 18h00. Mais à 18h30 aucun membre de l’équipe n’était présent, alors que le repas devait commencer 2 heures plus tard. Où étaient-ils ? À la prière musulmane du soir. Officiellement ils n’avaient pas le droit parce que selon la loi, la prière ne doit pas être faite pendant les heures de travail. Mais dans les faits… Et c’est là où il est important d’accepter la culture locale et surtout laisser de l’autonomie à ses employés. C’était mon premier 31 décembre dans l’hôtel, pour les employés c’était leur 20ème ou plus, ils savaient ce qu’ils avaient à faire et ils l’ont fait… dans les temps (prière incluse). Cette situation est un bon exemple d’adaptation à la culture. Cela m’a appris à ne pas tout diriger mais à laisser de la prise de décision aux employés. Nous avons tous le même objectif, la réussite de l’hôtel et la satisfaction du client.
« Guinée équatoriale : apprendre à transmettre son savoir »
Quelles différences avec ce que vous découvrez ensuite en Guinée équatoriale ?
En Guinée équatoriale, je travaille pour Sofitel. Je découvre une clientèle très politique et haut de gamme. Comme je gérais l’hôtel présidentiel, j’ai reçu de nombreux chefs d’État. Tout d’abord, en 2008, j’ai géré le premier Sofitel du pays, qui avait ouvert deux ans auparavant. Puis en 2011 j’ai ouvert un second Sofitel, de plus haut standing, pour accueillir la Conférence de l’Union Africaine rassemblant cinquante-deux chefs d’État. Quel challenge pour moi ! Les chefs d’états sont vraiment une autre typologie de clientèle. Avec eux, comme avec les ministres et leurs délégations, un hôtel doit offrir un autre service. Ce dernier doit être irréprochable, d’une part pour la marque de l’hôtel, mais aussi pour le pays hôte, puisque l’hôtel d’accueil représente le pays. Je me devais d’être disponible 24h/24 et quand vous avez une délégation de cinquante-deux chefs d’État pendant trois jours, je peux vous assurer que les nuits sont courtes. Mais quelle satisfaction et quelle euphorie quand tout se passe bien !
Je tire de cette période une grande leçon sur le soin du détail. Pour un touriste, le détail est important, mais il est moins essentiel, parce que principalement il va aller à la plage, il va aussi profiter de son séjour pour visiter le pays. Quand un hôtel reçoit une délégation présidentielle, nous devons entrer dans un niveau de détail bien supérieur, poussé à l’extrême. Tout doit être parfait, du début à la fin, que ce soit le check in ou le room service, ou nettoyer les chambres avec discrétion. Nous devons aussi gérer toutes les délégations dont les exigences sont souvent plus élevées que celles du Chef d’État lui-même.
En parallèle de cet apprentissage de l’hôtellerie d’excellence, la Guinée équatoriale m’a aussi appris à transmettre mon savoir. En 2008 la Guinée s’ouvrait au monde et au tourisme d’affaire et politique. Le Sofitel a été le premier hôtel de chaîne internationale. Les employés n’étaient absolument pas formés à l’hôtellerie et encore moins aux standards mondiaux du luxe. Ainsi, j’ai découvert comment m’adapter à des employés qui n’ont aucune expérience de l’accueil touristique des personnes étrangères. Et cela passe principalement par l’acceptation de partir de zéro et de transmettre son expérience.
En Guinée équatoriale j’ai découvert la fierté d’un peuple. Le pays avait été longtemps dénigré parce qu’il était très pauvre (avant la découverte du pétrole) et toute la population avait envie de montrer aux autres pays africains que le pays pouvait faire aussi bien que les autres. Pour cette raison, les employés étaient ouverts à se former rapidement et à exceller. De mon côté, je devais accepter qu’ils partent de zéro, sans jamais dénigrer. Je suis resté huit ans dans le pays, et j’ai participé à tout ce développement, ce qui m’a valu de recevoir la légion d’honneur du pays par le Président, ce qui était pour moi une grande fierté.
De cette expérience en Guinée équatoriale, je retire qu’il ne faut pas juger sur les compétences initiales, mais juger surtout sur l’envie. Depuis, j’applique souvent ce principe quand je recrute. Certes, les diplômes et l’expérience comptent, mais ce qui m’intéresse surtout c’est la motivation de la personne. Pour moi, c’est extrêmement important. Quelqu’un qui vient me voir aujourd’hui et me dit « je n’ai aucune expérience en hôtellerie mais je n’ai qu’une envie c’est de travailler dans l’hôtellerie car c’est ma passion », je vais le recruter.
« Cuba ne s’explique pas, c’est une expérience à vivre »
Sylvain, ensuite vous changez de continent, pour aller à Cuba.
En partant pour Cuba, je change de continent pour découvrir une culture totalement différente. À l’inverse de la Guinée équatoriale, Cuba est un pays très touristique où les employés connaissent bien la culture de l’hôtellerie. Les Cubains sont joyeux et accueillants. La joie de vivre, le rhum et la bonne humeur coulent à flots : les mojitos, la salsa…
Comme je suis arrivé à Cuba en tant que directeur pays, pour la première fois, j’ai géré plusieurs hôtels et leurs directeurs généraux. J’apprends donc à être un manager, non plus opérationnel, mais en support. Aujourd’hui, je considère qu’un bon manager c’est celui qui d’une part ne recrute que des professionnels meilleurs que lui, et d’autre part, c’est celui qui sait se positionner en support, en non pas en micro-management… En effet, si une personne est arrivée au poste de directeur d’hôtel, c’est qu’il sait gérer un hôtel, je n’ai pas besoin de lui expliquer comment faire. Par contre il peut rencontrer des problèmes rares (comme des ouragans pour Cuba), qu’il n’a pas l’habitude de gérer. Là, je dois l’aider.
Au final, Cuba ne s’explique pas, c’est une expérience à vivre. Pour ma part, ce que je retire des trois années que j’y ai passées, c’est la sympathie des Cubains, cette facilité de travailler avec eux, de les intégrer pour qu’ils participent, malgré leur vie parfois compliquée, dès lors que l’on s’adapte à leurs difficultés, notamment pour se nourrir ou se déplacer.
Un point culturel important dans cette région du monde, les gens aiment beaucoup être approchés physiquement. Le « abrazo » est très important. Comme dans mon enfance, j’ai reçu une éducation plutôt distante et sans contact (région parisienne), j’ai dû apprendre à être plus proche, à l’opposé de ce qui se passe au niveau mondial où il faut faire attention, rester éloigné, ne pas risquer d’être accusé de harcèlement. À Cuba c’est l’inverse, si vous ne touchez pas une personne, cette dernière va penser que vous ne l’appréciez pas, que vous êtes très froid et imbu de vous-même. Grâce au contact physique, le relationnel avec les Cubains est différent, il va au-delà du hiérarchique pour devenir plus proche. Là-bas tout le monde vous appelle « mi amor », même les femmes de ménage des hôtels. Au début, j’ai été surpris. Puis j’ai appris à « lâcher prise » tout en restant professionnel car l’île de Cuba a quelques charmes bien connus. Un manager étranger doit être vigilant pour lâcher prise sans perdre le contrôle. Je remercie beaucoup Cuba de m’avoir appris ce côté cariño (trad. câlin)
« Mexique : là où la passion du service est culturelle »
Depuis 2018, vous êtes au Mexique. En quoi cette dernière étape vous a changé ?
Pour moi, au niveau relationnel, le Mexique est en continuité avec Cuba. Les Mexicains sont extrêmement sympathiques et accueillants. Ils ont ça dans le sang. Les Mexicains aiment les gens dès le premier contact. Ils n’ont aucun a priori négatif, aucune méfiance. La contrepartie de cela, les mexicains veulent toujours faire plaisirs et donc disent rarement non. Résultat, sur le plan du management, j’ai dû apprendre à faire la différence entre un oui et un oui. Je m’explique, certains oui veulent bien dire oui mais certains oui veulent dire non. Cela a été mon challenge les premières semaines au Mexique savoir identifier le oui qui veut dire non. Mais quel plaisir de travailler au Mexique, quel plaisir de travailler dans un pays où la passion du service est culturelle.
Au Mexique, j’ai réussi à faire une synthèse de tout ce que j’avais appris depuis vingt ans. J’ai dû m’occuper d’une ouverture d’hôtel difficile dans le contexte du Covid et j’ai obtenu d’excellents résultats. Aujourd’hui, sur Tripadvisor, nous sommes le deuxième meilleur hôtel sur les 470 que compte la ville de Mexico, et le deuxième meilleur restaurant sur plus de 5 000.
Au Mexique, je sens que j’ai grandi en sérénité. Je me sens plus calme et confiant dans tout ce que je fais. Même si j’ai toujours quelques doutes, je prends chaque décision de manière beaucoup plus assurée, car je suis convaincu que c’est la bonne décision et la manière adéquate de la mettre en place. Je pense que mes collaborateurs le ressentent. Par exemple, à l’ouverture de l’hôtel, ma directrice marketing me disait « je suis épatée, nous sommes en période hyper stressante et toi tu nous transmets de la sérénité. Je ne comprends pas pourquoi tu n’es pas stressé ». Alors je lui explique que je suis en partie stressé intérieurement, mais être sûr d’avoir la bonne équipe permet d’être serein et moins stressé. Au final, être un manager calme permet de donner de la sérénité à l’ensemble de l’équipe.
« À l’international, ne jamais arriver en conquérant »
Sylvain, quels conseils donneriez-vous à un Français qui voudrait se lancer dans une carrière dans l’hôtellerie à l’international ?
À un Français qui voudrait se lancer dans une carrière dans l’hôtellerie à l’international, je conseillerais de ne surtout pas arriver en conquérant, ne surtout pas se dire : « Je suis le plus beau, le plus fort, on m’a fait venir parce que les autres sont nuls et que je suis le meilleur ». Bien au contraire, en arrivant dans un pays étranger, vous devez vous adapter à la culture locale. Or connaître les règles sociales locales prend du temps. Vous devrez donc rester très ouvert d’esprit pour arriver à comprendre et intégrer cette culture à votre comportement.
Attention toutefois, car vous devrez vous adapter sans dépasser la ligne rouge de devenir trop local. Nous restons des Français avec notre culture française. La société qui vous envoie dans ce pays souhaite que vous y apportiez votre culture, votre expertise. C’est sans doute la raison pour laquelle je me sens si bien dans la marque Sofitel qui met toujours l’accent sur le lien entre deux cultures, la culture française et la culture du pays d’accueil. L’expatriation c’est précisément cela : à la fois apporter sa culture, et faire le lien avec la culture locale.
Regard sur une expérience d’Executive Coaching selon la méthode CO-CREATiVE Communication®
Un mot sur votre expérience d’Executive Coaching avec moi ?
« Vous avez très bien su analyser la personne que vous aviez en face de vous et m’orienter en tenant compte de ma sensibilité et de mes propres expériences. C’est vraiment ça qui est important dans notre coaching : me faire prendre conscience de mes valeurs et de comment je peux prendre des décisions futures. Vous avez su m’accompagner sans me donner de direction, sans me conseiller ni m’influencer, en me faisant avancer pas à pas dans ma réflexion personnelle pour trouver une solution aux problèmes que je pouvais avoir. Se redécouvrir soi-même, c’est cela un coaching avec vous ! »
Propos recueillis par Antoine Leygonie-Fialko
International Executive Coach & Adviser « Become an inspiring leader » Antoine Leygonie-Fialko est International Executive Coach & Adviser, spécialisé dans l’accompagnement des dirigeants à l'international vers « une pensée Claire et Calme, Bienveillante et Puissante ». Polytechnicien, Ingénieur des Ponts, Architecte et Docteur en Philosophie, puis diplômé INSEAD, il est fondateur de la Co-CREATiVE Communication® et de la société CADRAN qui opère mondialement. Auparavant, il a dirigé 7 sociétés, de la start-up au corporate, en France et à l’international (Europe, Eurasie, Afrique), dans diverses industries (bâtiment, internet, RH…). Aujourd’hui, fort de plus de 3 000 heures d’Executive Coaching sur 5 continents et 40 pays, détenteur du plus haut niveau de certification (ICF MCC « Master Certified Coach ») et plusieurs fois nominé « Top 5 International Executive Coach », il intervient auprès de tout dirigeant qui vise un leadership d'excellence et souhaite développer toute la puissance qui sommeille en lui et ses équipes.ANTOINE LEYGONIE-FIALKO