Paroles de dirigeant à l’international
Les clés d’une réussite business à l’international
Élodie Richard, Executive Director Canada, Estée Lauder
« Seul le temps permet de comprendre la diversité du Canada »
Depuis une vingtaine d’années, Élodie Richard travaille au Canada dans l’univers des cosmétiques. Elle nous raconte ce que ce secteur et ce pays ont de spécifiques…
Quelques faits
Entretien mené par Antoine Leygonie-Fialko
Dialogue ouvert puis séance d’Executive Coaching
selon la méthode de CO-CREATiVE Communication®
J’ai rencontré Pascal lors d’un séjour à Paris. Avec toutes ses activités, j’ai été séduit par sa disponibilité. J’ai été admiratif de voir comment il s’implique auprès des expatriés…
« Maîtriser la perception de notre marque »
Élodie, qu’est-ce qu’Estée Lauder ?
Estée Lauder est à l’origine une femme qui a créé son entreprise il y a 75 ans. Aujourd’hui, Estée Lauder est aussi une marque globale de cosmétiques américaine, qui fait partie du Groupe Estée Lauder Companies. Cette marque est implémentée dans tous les continents. Estée Lauder vend des produits pour la peau, du maquillage, et des parfums. Estée Lauder offre des cosmétiques de prestige. Notre distribution correspond à ce positionnement « En Allemagne, j’ai appris à bien expliquer ».
Comment accédez-vous à votre marché ?
Notre client final est une femme, ou un homme, de tout âge, consommateurs de cosmétiques. Notre marketing est donc orienté B to C. Néanmoins, pour vendre au client final, nous traitons avec les détaillants, les grands magasins, et les réseaux de distribution sélectifs (comme les parfumeries ou les pharmacies). Avec nos détaillants, nous formons un partenariat pour mettre en valeur le produit et pour le vendre au client final. Au Canada, quel que soit le retailer auquel nous faisons face, une parfumerie, un Department Store, ou même des pharmacies, je trouve la gestion de la marque passionnante car notre challenge est de nous adapter à chaque détaillant pour que le produit final soit montré à peu près de la même manière partout. Quand nous vendons à un grand magasin avec nos propres vendeuses, que nous formons nous-mêmes, nous avons une bonne maîtrise de l’approche marketing. En revanche dans une parfumerie qui a ses propres employés, ces derniers ne sont pas toujours experts de notre marque, et nous devons les accompagner plus attentivement. Ce qui compte pour nous, c’est de maîtriser la perception de notre marque et son utilisation par nos consommateurs finaux.
« Le consommateur a changé »
Comment faites-vous pour vous distinguer de la concurrence ?
Estée Lauder se distingue de la concurrence sur plusieurs dimensions. Tout d’abord, le positionnement de la marque est essentiel. Le marché a été bouleversé ces dernières années. Au-delà de la pandémie, le consommateur a changé. Ce dernier est en recherche de nouvelles marques, de plus de transparence. Estée Lauder se positionne de manière très distinguée. Comme nous sommes une marque classique, nous cherchons à garder cette distinction avec des valeurs sûres par opposition aux marques qui viennent de rentrer dans le marché, avec des ingrédients nouveaux.
Quand on vend des cosmétiques au niveau mondial et au niveau du Canada en particulier, l’expérience client est déterminante. Il y a dix ans, nous avions moins de concurrence, et moins de produits sur le marché. Ces deux dernières années, les clients confinés chez eux ont passé beaucoup de temps à rassembler des informations sur internet, accentuant l’importance des claims. Aujourd’hui, la cliente est en recherche d’expérience. Elle veut être reconnue par les marques. Par exemple, elle est très sensible aux programmes de fidélité. Elle ne va pas se déplacer en magasin juste pour racheter la crème qu’elle vient de terminer. Elle voudra discuter et avoir des conseils. Ces conseils sont extrêmement importants quand on vend du prestige ou du luxe. Que ce soit pour du soin, du maquillage ou du parfum, la cliente essaie, elle teste, elle touche. Toute cette expérience est très importante pour elle. Depuis le Covid, nous voyons émerger une question cruciale pour l’avenir de notre marketing : comment allons-nous passer d’une expérience client très basique, du type « voilà le produit, je teste », à une expérience distinctive par rapport à la concurrence ?
Pour répondre à cette évolution, le partenariat avec le retailer est primordial. Dans des Department Stores, nous avons notre propre comptoir avec notre propre vendeuse. Ainsi nous avons le plein contrôle de l’expérience client : du clientelling jusqu’à la cliente en magasin. En particulier, nous proposons de nombreux services en magasin, des services de cabine, des services de soins et des services de one on one. Par contre, le challenge est plus important pour les parfumeries et les pharmacies. Aux États-Unis et au Canada, les chaînes de pharmacie vendent des cosmétiques prestiges. Avec ces chaines, la clé du succès est de former des vendeuses qui sont multi-marques, avec des programmes réguliers sur nos produits. Nous gérons une formation très structurée et constante pour tenir compte du turn over chez nos partenaires.
Pourquoi Estée Lauder et tel produit d’Estée Lauder par rapport à un autre produit ? Nous tenons à être respectueux des autres marques. Ce n’est pas parce qu’une cliente achète une marque ou un produit Estée Lauder qu’elle ne peut pas utiliser un autre produit. Dans cette philosophie, nous éduquons les vendeuses sur les cosmétiques en général et sur la manière dont notre produit peut satisfaire la cliente, selon le contexte, et en fonction de ce que la cliente recherche, notamment, en faisant partie d’une routine de soins pour la peau qui implique parfois d’autres produits hors de notre marque.
« Nos représentantes sont “en amour” avec la marque »
Comment faites-vous pour animer vos équipes de vente ?
Au Canada, notre marque a un ADN très fort : celui d’une marque familiale existant depuis longtemps. Les représentantes dans les magasins sont là depuis 15-20 ans. Elles sont « en amour » avec la marque, comme on dit au Canada. Avec elles, notre force de vente est donc très puissante.
À mon sens, le point fort d’Estée Lauder est que nous sommes tous fiers de travailler pour cette marque. Nos vendeuses ne sont jamais dans une optique « je veux vendre le produit », mais dans celle de satisfaction de problématique de cliente. Je pense que l’un des points de différenciation de Lauder est précisément notre service à la clientèle. Nos produits sont très performants, la consultation et l’expertise soins pour la peau est très qualitative chez nous, et les clients viennent nous voir pour tout cela.
Comment parler à un influenceur ?
Au-delà des retailers, avez-vous d’autres partenariats ?
Nous avons de nombreuses interactions avec la presse, les media et les influenceurs. Depuis deux ans, ces derniers ont pris une ampleur incroyable. Avec eux, notre axe communication est très important : Comment parle-t-on à ces influenceurs qui sont très différents les uns des autres ? Comment leur fait-on comprendre notre produit et comment les aide-t-on à expliquer notre produit à leurs followers ? Toutes ces questions sont à la fois essentielles et nouvelles pour nous. Par exemple, nous faisons appel à un groupe d’influenceurs life style. Cela nous permet de parler de notre produit à une audience beaucoup plus large qu’avec notre communication presse classique. Cette audience n’est pas forcément orientée cosmétiques mais elle peut être intéressée par le wellness de manière générale. Autre exemple d’évolution : nos retailers sont toujours les mêmes depuis des années, la presse écrite est toujours là, mais les influenceurs changent tous les six mois. Comme le Canada est un pays très varié, à la fois vaste et très diversifié culturellement, nous cherchons à parler de manières différentes avec chaque type de clientèle. Par exemple, une influenceuse asiatique va parler à l’importante population asiatique présente au Canada. Grâce aux influenceurs, nous avons un contact direct avec chaque type de clientèle.
« Un management orienté résultat »
Avez-vous une manière spécifique de manager une équipe canadienne ?
Le Canadien n’est pas du tout Américain. Un manager doit respecter le Canadien pour qui il est et d’où il vient. Et comme pour n’importe quel style de management, il doit s’adapter à la personne que nous avons en face de nous. Au Canada, la sous-culture et les origines prennent toute leur importance. Pour un manager, il est tout à fait respectable d’en tirer avantage et d’avoir des gens dans son équipe culturellement diversifiés. Généralement, les Canadiens sont très ouverts. En retour, le manager doit être, lui-même, très ouvert et très respectueux. Par exemple, quand j’ai un employé d’origine chinoise, ce qui est assez courant au Canada, je suis attentive à la célébration du Nouvel An Chinois. En présence d’un collaborateur qui célèbre une fête liée à sa culture, une belle manière de gérer la relation est de montrer que je connais et je respecte sa culture. Comme 30% de mes équipes sont d’origine internationale, je m’attache à tenir compte de la spécificité culturelle de chacun.
Quand un manager Français arrive au Canada, il est souvent très noir et blanc, et très directif, ce qui ne passe pas du tout ici. La grande différence entre les méthodes canadiennes de management et les méthodes françaises est qu’ici nous gérons vraiment les équipes au résultat, et pas forcément au nombre d’heures travaillées. Bien sûr, en tant que leader, j’ai une vision très claire, avec des KPI précis et une time line rigoureuse. Mais je laisse totalement aux équipes le soin de la mise en œuvre. Alors qu’en France, j’ai l’impression que le manager est très cartésien. Au Canada, le style de management est basé sur un objectif de résultat, pas dans un objectif de moyen.
« Définir une nouvelle expérience on line et off line »
Quels sont vos challenges pour l’année à venir ?
J’ai deux challenges devant moi.
Mon premier challenge est un challenge humain. Nous avons tous été affectés d’une manière ou d’une autre par le Covid. Comme dans beaucoup d’entreprises, nous travaillons à présent en mode hybride. Aujourd’hui, mon challenge est de trouver comment motiver une équipe en hybride, comment trouver les bonnes personnes pour travailler dans ce mode. En tant que leader, je dois comprendre comment motiver et accompagner le changement. À mon sens, peu importe le business, l’humain est au cœur de tout. C’est pourquoi je considère que ce challenge est une opportunité. La pandémie nous a appris à avoir un nouvel équilibre de vie. Maintenant je dois arriver à gérer cette situation dans la durée.
Mon deuxième challenge concerne le business. Le marché a beaucoup changé, la cliente aussi. Mon challenge est de comprendre comment nous devons nous adapter aux nouveaux modes d’achat de la cliente. En particulier, je veux revenir du côté de l’expérience client et m’adapter à son mode d’achat en magasin et en ligne. Cette compréhension doit nous permettre d’ajuster notre stratégie commerciale, notre marketing et notre communication. C’est une véritable remise à plat.
De mon côté, je vois deux tendances de fond.
D’une part, je sens qu’aujourd’hui la cliente a un besoin et une envie de retrouver une expérience physique avec la vendeuse, bien plus forts qu’auparavant. La cliente a deux choix : elle peut acheter en ligne, ça fonctionne très bien et c’est pratique et rapide. Dès lors quelle raison a-t-elle d’aller en magasin ? À mon sens, la cliente va en magasin pour découvrir des nouveaux produits, les toucher et avoir des conseils. En magasin, la cliente s’attend à une expérience différente de celle qu’elle avait l’habitude d’avoir avant la pandémie. Elle ne veut pas seulement parler à une vendeuse mais aussi voir ce que cette dernière va lui apporter.
D’autre part, je sens une accélération du besoin de transparence de l’information sur les produits. Avec la pandémie, la tendance s’est amplifiée, car la cliente a pu passer beaucoup plus de temps sur internet, et découvrir ce qui est bien ou non pour elle ou pour la planète. La cliente s’est éduquée sur les produits qu’il y a sur le marché, et elle a des idées précise sur ce qu’elle veut et peut acheter. Dans ce nouveau contexte, notre rôle est de lui ré-expliquer en détail les caractéristiques de nos produits, en toute transparence.
Face à cette évolution, nous pouvons former la vendeuse en magasin. Il est beaucoup plus compliqué de transmettre ce message sur une plateforme en ligne. Comment engager la cliente ? Comment l’enthousiasmer sur nos produits ? Comment l’impliquer ? Ces questions sont cruciales pour l’avenir de notre business.
« Penser la totalité du Canada dès le début »
Vous rencontrez un Français qui arrive au Canada pour le business. Quels conseils lui donneriez-vous ?
La première chose que je dirais à un Français qui arrive ici, c’est de garder à l’esprit que le Canada, ce n’est pas les États-Unis. Comme le Canada est un pays très vaste, il y a plusieurs Canada. Pour cette raison, on ne peut pas faire du business B2C de la même manière quand on parle à un client qui vient d’Ontario, une personne du Québec, une personne qui vit à l’Ouest ou même au centre du Canada qui est un peu le « Texas » canadien. Le pays est bilingue français-anglais de manière officielle : au Québec bien sûr, mais aussi dans tout le reste du Canada. Quand on commence à faire du business, il faut le comprendre tout de suite. Trop d’entreprises françaises se disent « je commence au Québec pour percer et ensuite je vais pouvoir faire le reste du Canada ». En fait il faut penser la totalité du Canada dès le début. Le cœur du business et le cœur de l’économie se trouvent en Ontario et à Toronto. Donc mon conseil est de commencer par être basé à Toronto. Je pense que c’est une base bien meilleure que de commencer au Québec. Par ailleurs, je rappellerais à un Français qui arrive que le multiculturalisme au Canada est très important. Il y a un réel respect des sous-cultures, et les communautés différentes vivent en respect les unes avec les autres. On dit souvent que les États-Unis sont un melting pot, comme une salade mélangée. À l’inverse, au Canada, même si tout le monde embrasse la culture canadienne, chacun est fier de son origine, et s’attend à ce que les personnes la respectent, d’où l’importance, en management, de savoir quels festivals sont fêtés.
À un Français qui arrive pour le business, je dirais aussi que si les Canadiens sont très ouverts, il n’en reste pas moins que cela prend du temps d’établir des relations avec eux. Un facteur d’échec consisterait à vouloir aller trop vite, trop rapidement, dans la perspective produit et retail. En effet, ce n’est pas parce qu’une approche et un produit marchent à Toronto qu’ils marcheront à Vancouver ou à Montréal. Seul le temps permet de comprendre réellement la diversité du Canada.
Au final, le Canada est une terre d’accueil. On le sent nettement : il y a ici un réel équilibre de vie. Il y a un respect mutuel des gens et je pense que cela facilite les choses que ce soit de manière professionnelle ou personnelle. Pour en bénéficier, il suffit de venir en restant très humble.
Regard sur une expérience d’Executive Coaching selon la méthode CO-CREATiVE Communication®
Un mot sur votre expérience d’Executive Coaching avec moi ?
« Le coaching avec vous a été très formateur et m’a permis d’avoir une vraie réflexion sur moi-même ainsi que sur mon avenir. Cela a produit un déclic en moi qui m’a permis de me poser les bonnes questions. Pour moi le coaching aide les dirigeants à être de meilleurs dirigeants. Avec vous, j’ai pu avoir une vraie réflexion interne à laquelle je ne m’attendais pas forcément mais qui a été très fructueuse et qui me donne envie d’aller plus loin. »
Propos recueillis par Antoine Leygonie-Fialko
International Executive Coach & Adviser « Become an inspiring leader » Antoine Leygonie-Fialko est International Executive Coach & Adviser, spécialisé dans l’accompagnement des dirigeants à l'international vers « une pensée Claire et Calme, Bienveillante et Puissante ». Polytechnicien, Ingénieur des Ponts, Architecte et Docteur en Philosophie, puis diplômé INSEAD, il est fondateur de la Co-CREATiVE Communication® et de la société CADRAN qui opère mondialement. Auparavant, il a dirigé 7 sociétés, de la start-up au corporate, en France et à l’international (Europe, Eurasie, Afrique), dans diverses industries (bâtiment, internet, RH…). Aujourd’hui, fort de plus de 3 000 heures d’Executive Coaching sur 5 continents et 40 pays, détenteur du plus haut niveau de certification (ICF MCC « Master Certified Coach ») et plusieurs fois nominé « Top 5 International Executive Coach », il intervient auprès de tout dirigeant qui vise un leadership d'excellence et souhaite développer toute la puissance qui sommeille en lui et ses équipes.ANTOINE LEYGONIE-FIALKO